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The Last Assassins

Biographie

Des textes poétiques sur un rock’n’roll sale et sexy afin de résister au formatage de masse.


Deux poètes (Mathieu Leclerc et Virginia Tangvald) et un guitariste (Jean Leloup) s’unissent et deviennent The Last Assassins. Le collectif d’artistes multidisciplinaires est né de façon presqu’accidentelle à l’été 2010 lors de la création de la trame sonore du film Karaoke Dream, écrit et réalisé par Jean Leloup. Les sessions d’improvisation se sont rapidement multipliées, et le trio s’est rendu à l’évidence : leurs chansons vivaient d’elles-mêmes.

Le printemps est tardif. Le soleil ne découpe que des ombres lasses sur une série de façades de briques rouges-sang banales, au fond du Mile-End de Montréal. Un garage vide, un plombier absent… Entre cette succession de commerces moribonds, une porte d’acier grise ouvre sur un autre monde. Un trois pièces où il fait nuit noire, encombré d’instruments et d’électroniques scintillantes… et puis, au fond de l’édifice, déjà, autre ambiance extérieure: une étroite bande de sous-bois, ponctué de gros arbres usés, le terreau est mou et parfumé. Voici le refuge des Last Assassins.

Cet après-midi-là, Jean sort la petite Gibson cabossée. Assis sur des troncs d’arbres falots, Mathieu et Virginia fredonnent, en sourdine, une mélodie amère et naïve.

Présentations

L’un de ces Last Assassins c’est Jean Leloup, perpétuellement occupé à confectionner du sur-mesure, ou sinon accoucher des projets d’amis. Une banque d’images, sinon de personnages caustiques, affligés, souvent empreints d’autodérision. Une œuvre dont l’intransigeance terrible fait total consensus chez ses aficionados.

Les deux autres complices, ce sont Mathieu Leclerc et Virginia Tangvald.

La jeune trentaine, Mathieu est un collaborateur discret de longue date, qui se tenait déjà dans l’ombre de quelques unes des belles réussites de La Vallée des réputations, où Jean le créditait de la « direction poétique ». Les dernières années lui ont fait prendre un étrange recul ; il a le regard de ceux qui sont lentement revenus de tout.

Virginia ajoute encore à la part mystérieuse de l’affaire. C’est une fille longiligne, lumineuse, dont le parcours improbable aurait pu mener autant vers la haute mer que vers le naufrage intérieur. On lui découvre, au delà d’une voix juste et décalée, une pertinence naturelle.

S’il n’est pas nouveau pour Leloup d’échapper, à travers ses multiples homonymes, à une gloire stratifiante, ces temps-ci, outre ses incursions dans le film, il joue surtout les guitar hero. C’est d’ailleurs initialement en composant sur six cordes des musiques destinées à son film ambigu qu’il a flairé les prémisses d’un possible album. Dès lors, il y a 10 mois, il encourage ses deux acolytes à écrire et chanter sans arrière pensées. Il explique: « L’été passé, à partir de quelques mélodies, de 2-3 riffs de guitare, nous avons fait des jams de 5-6 heures, dont on conservait les meilleurs moments. Au bout de quelques uns de ces essais, on a senti que ca marchait. Virginia et Mathieu écrivaient des textes étonnants et efficaces, plaçaient leurs voix aux bons moments. Après un bout de temps, nos amis écoutaient ces maquettes à tue tête tout le temps. Alors on s’est dit que ca devait avoir un certain intérêt. »

Instinct

Le naturel reste le mot d’ordre consensuel du bel ouvrage. Esprit ébouriffé, mais paradoxalement discret et hasardeux, nageant à contre courant du facile, Mathieu Leclerc a érigé la pudeur en considération esthétique. Parlant des quatorze chansons sur lequel il chantait a priori prudemment -voire à reculons- entre ses neuf vies de chat, il insiste sur la vertu de spontanéité, mais aussi de retenue qui s’apparentent au vieil adage Qui trop embrasse mal étreint. « On devient vite coquet quand on fait de la musique, parce qu’on veut plaire. Aujourd’hui, même les punks font des exercices de style ». Il est aujourd’hui plutôt satisfait de la résilience du trio qui n’a pas cherché à faire beau : « Je crois qu’à trois on a réussi à se protéger mutuellement de la coquetterie, persévéré à faire les choses live ». Ses camarades acquiescent. Leloup ajoute : « On sait que ca marche quand on a du fun, quand il y a une connexion, quand on voit qu’on joue ensemble naturellement ». Virginia, elle, dit: « À trop vouloir éviter les faux pas, la spontanéité est devenue quelque chose de rare ».

Atmosphère

Au fil des ans, Leloup est devenu un guitariste plutôt formidable. Il a développé un frappé de cordes original, nerveux, intuitivement apparenté à cette brève parenthèse américaine Black Panthers, Harlem, Isaac Haye, qui sévit dans les sixties. Précurseur du Power Rock Trio à la Black Keys sur ses deux derniers albums un brin malpropres, ses riffs sont souvent farouchement funky. Outre deux-trois incidents country-folk, et un magnifique clin d’œil aux Ventures sur Pepito, cette virtuosité énergique, franchement instinctive, fait paradoxe avec le coté éthéré de ce que viennent d’endisquer les Last Assassins : Un peu de miel mais quelques abeilles jaune et noires… pas très loin.

Oiseaux

Virginia Tangvald, 24 ans, vient d’ailleurs. Issue d’une famille atypique, née sur un bateau sur la mer des Antilles, élevée partiellement à Toronto, elle affiche un léger accent qui ne charrie rien d’amer. Là ou Mathieu a écrit sur l’indifférence et le fragile des mots qui ressemblent à des prières intériorisées, comme On The Take (“Don’t think like I used to, girl you got no home“), elle, raconte, faussement légère, des départs, des pertes et des absences. Elle vide ses poches d’un peu de pacotilles; perles de verres, photos usées d’une enfance anxieuse. Elle admire Sylvia Platt et Patti Smith, des femmes endeuillées mais résilientes, qui parlent du pire avec détachement. Dans des chansons comme Dead Birds, c’est plutôt la poésie volatile 19e siècle du Ode to a Nightingale de Keats qu’on entend. Pour elle, par contre, ses oiseaux tombés du ciel, ânonnant une imminente résurrection, se sont peut être plutôt abattus à Tchernobyl. Elle dit « J’aime tout ce qui a cessé de bouger ». “Dead birds cover the ground everywhere I go / For a moment I forgot what I was here for / Dead birds I’ll follow you with what’s left of me / But how do we know what that will be“

À l’automne dernier, à l’inverse des oies, pour des raisons fortuites qui relèvent presque du polar, les Last Assassins ont migré vers Québec City. Le trio s’est installé à la petite semaine en Basse-Ville. Ils y ont trouvé un son et puis cette théorie particulière de la gravitation romantique Newtonienne où toute pauvre pomme tombe vers le bas.



Partir, perdre, laisser, oublier...

Il a neigé; Virginia a écrit le très classique Winter : “Your steps sank in the snow / I watched a garden die / I watched black birds cross the sky / Broke my heart to see them go“. Et Mathieu a écrit Rodéo Girl, qui est forcément une errance urbaine: “Just outside the city / There’s a place where all the poney’s go / And there’s a chick / Rodeo girl“.

Chacun partageant un peu de son for intérieur avec les autres, au printemps, ils se sont encore retrouvé ailleurs. Possiblement déjà dans ce même sous-bois parfumé et doux où la nuit désormais ne dessine que des ombres furtives. Leloup a repris la guitare, il pioche des cordes, explique des accords batards. Puis on sent le point final qu’on n’entend pas, et chacun s’en va doucement chez-lui, avaler quelque chose au resto du coin, sinon prendre un dernier verre.

L’histoire est presque racontée, il y aura surement plus à dire. Mais comme malgré ce qu’on en pense, un langage ne prêtant guère à l’autre, il y aura surtout, surtout, plus à écouter.


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